Horizon 2030 : À quoi ressemblera notre île ? À quoi ressemblera son architecture ? (3ème partie)

Dans sa rubrique « Fenêtre sur », à l’initiative de Thibaud Duval, diplômé en architecture et conseiller au CAUE de la Martinique, la parole est donnée cette fois à 3 architectes expérimentés qui ont bien voulu partager leur vision de l’architecture qui pourrait être mise en œuvre en Martinique d’ici dix ans. Ils ont exprimé leur ressenti par rapport à la production architecturale actuelle et ont fait part de leur manière d’appréhender l’architecture en 2030. Notre but en créant cette rubrique est d’animer le débat en proposant des avis qui n’engagent que leurs auteurs. 

Introduction

Dans cette troisième partie, nous interrogeons des architectes sages et expérimentés. Ils ont lu les deux premières parties de notre série sur l’architecture en 2030 et ont pu répondre aux jeunes. Leur expérience et leur volonté de transmettre sont une mine d’or pour la future génération. Le temps est venu de faire place au débat, à la transmission et à l’échange. Ces jeunes ayant des visions utopiques et fraîches, pleines d’authenticité, rêvant de simplicité et curieux d’échanges, se voient ici confrontés à la sagesse de professionnels aguerris.

 

Manuel MENCEArchitecte D.P.L.G de l’École Nationale Supérieure Arts et Industries de Strasbourg et diplôme propre aux Écoles d’Architecture (D.P.E.A.) Conception Parasismique

37 ans d’expérience

N’oublions pas l’importance de la maîtrise d’ouvrage (personne physique ou morale pour qui est réalisé le projet). En 2030, les architectes auront certes évolué. Les Martiniquais auront pris conscience de l’importance de l’architecte et du métier de l’architecture. Oui, le côté financier fait partie intégrante de l’architecture, mais le grand public doit prendre conscience de la création, de l’innovation architecturale. La Martinique de demain connaîtra beaucoup de rénovation dans son parc immobilier avec la préservation de son patrimoine existant.

Dans 10 ans, le changement d’échelle du bâti martiniquais s’intensifiera. Effectivement, notre île a connu un mitage du paysage, avec la présence d’innombrables maisons individuelles. Actuellement, l’apparition d’habitat collectif, regroupant de plus en plus un grand nombre d’habitants, est et sera la norme. Les architectes, seuls, n’arriveront pas à changer le paysage. Il faut une collaboration plus forte et plus étroite avec, entre autres, la maîtrise d’œuvre, la maîtrise d’ouvrage et les différents corps de métier.

À l’horizon 2030, il y aura une recrudescence de la règlementation au niveau des matériaux de construction. Elle se durcira et le bâtiment deviendra de plus en plus autonome. L’architecture va se focaliser non pas sur le bâtiment mais plutôt par rapport à sa maintenance, son entretien, son déplacement éventuel, sa requalification et sa démolition.

Je suis optimiste à l’égard de la nouvelle génération qui arrive. Les jeunes semblent avoir beaucoup d’ambition. Néanmoins, il faut récréer le débat entre la maîtrise d’œuvre, la maîtrise d’ouvrage, je ne cesse de le répéter !

Les jeunes, ayant participé à l’interview, semblent être attachés à leur culture et à la Martinique. C’est primordial ! Ils ont compris l’importance d’une architecture adaptée à notre île, à notre climat, à notre environnement.

Néanmoins, ils n’ont pas une vision qui prend en compte la maîtrise d’ouvrage. C’est essentiel au financement du projet. Il faut qu’ils comprennent l’importance de recréer le débat entre les différents acteurs, les entreprises, les entrepreneurs, pour créer une équipe homogène. C’est une dimension cruciale du métier afin de rassembler pour avancer dans de bonnes conditions.

La place de l’architecte à l’intérieur de ce consortium a beaucoup évolué. Malheureusement, aujourd’hui, l’architecte n’est plus le chef d’orchestre qu’il fut. À présent, il est perpétuellement remis en cause dans ses choix, par beaucoup de corps de métier, notamment dans la conception, qui est le credo phare de son intervention. En passant d’intermédiaire à intermédiaire, le projet se dénature dans la plupart des cas. On s’y perd un peu ! L’architecte devra être ferme mais collaboratif – le maître mot restant l’équilibre.

De plus, l’architecte se doit d’être un enseignant de l’espace, de son traitement, de l’architecture pure par rapport aux notions de confort, de lumière, d’ombre et d’ambiance. L’architecte doit communiquer cela à l’équipe autour de lui pour créer le dialogue. Transformer les rêves du client en réalité.

Les jeunes doivent prendre conscience aussi que les avis techniques des matériaux sont réalisés en Métropole, et qu’il y a très peu de bancs d’essai, voire aucun, permettant aux matériaux d’être testés pour nos enjeux insulaires.

En définitive, mon dernier conseil aux jeunes, est de dessiner, toujours et encore dessiner ! Prenez pour habitude de projeter via le dessin ce que vous avez dans votre esprit afin de trouver des solutions rapides et innovantes, sans oublier l’administratif qui fait partie du métier de l’architecte, mais cela viendra avec le temps. Cependant, en tant qu’architecte, il faut rêver et dessiner tout en restant conscients de votre rôle dans la société !

 

Serge GUNOT, Architecte D.P.L.G. de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (UP6) en juillet 1978, diplômé du D.P.E.A. Conception Parasismique et chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres le 1er janvier 2009

42 ans d’expérience

Devenez spécialistes du milieu dans lequel vous évoluerez. Je crois profondément en la prochaine génération pour continuer le travail que nous avons déjà commencé. Ayez une réflexion profonde sur le génie du lieu martiniquais.  C’est à vous, Martiniquais, de prendre en charge le futur aménagement du territoire.

Vous rendez compte de l’architecture qui doit s’adapter au milieu dans lequel elle s’intègre. Vous semblez comprendre l’importance des matériaux biosourcés car la majorité des matériaux sont aujourd’hui importés, mais il faudra faire le constat des matériaux disponibles en Martinique. Les Écoles d’architecture vous donnent les bases du métier, mais elles ne vous préparent pas assez à exercer la profession. Pourquoi ne pas penser à créer un Master d’architecture en Martinique, en alternance entre agence et milieu académique ?

Il faut critiquer les gens qui viennent avec une approche « doudouiste » de notre île et de l’architecture en stoppant le fantasme de la carte postale. Il faut donc des experts, et vous êtes déjà les experts en tant que natifs de l’île. Vous comprenez la culture, le mode de vie, et celui du mode de penser.

Mon conseil en tant qu’architecte, c’est de ne pas laisser les gens parler de parasismique et de paracylonique à votre place. Compléter votre formation d’architecture, si c’est possible, à Marseille, en faisant le D.P.E.A.

En 2030, l’architecture martiniquaise connaîtra un statu quo avec l’utilisation outrancière des murs de rideaux en verre pour faire moderne comme en Métropole, et une évolution fructueuse d’une bonne prise en compte de la richesse et de la biodiversité de notre île. Dealer avec cette nature, c’est développer des modes de fonctionnements différents afin de réintroduire le végétal pour résister aux enjeux climatiques. En 2030, je souhaiterais une Martinique revégétalisée où le « génie écologique » sera développé. Quand je parle de « génie écologique », je parle d’un échange gagnant-gagnant avec la nature.

Faire participer le végétal à l’acte architectural, notamment pour le confort thermique, c’est offrir une protection face aux caprices du climat et participer, de plus, à une plus grande autonomie alimentaire.

De plus, n’ayez pas peur de publier ce que vous faites déjà, à l’École. Vos mémoires, vos projets, vos réflexions, premièrement, vous feront connaître. Puis, en deuxième lieu, vous montrerez que la Martinique n’est pas un désert culture et technique comme certains le pensent à tort. Soyez visibles aux yeux du monde.

Il y a un travail de transmission que nous devons commencer ensemble. La nouvelle génération devra prendre le flambeau et nous devons travailler main dans la main. N’oubliez les autres îles, la caraïbe s’ouvre et les partenariats sont nombreux notamment avec la Fédération des associations caribéennes d’architectes (FCAA).

 

Victor VERMIGNON, Architecte D.P.L.G diplômé d’architecte par le gouvernement (D.P.L.G.) et diplôme propre aux Écoles d’Architecture (D.P.E.A.) parasismique

42 ans d’expérience

Il faut que les jeunes soient encore plus curieux. La quasi-totalité des idées mentionnées dans les deux premières parties de ce groupe d’article a déjà été abordée par les générations précédentes.

Renseignez-vous sur ce qui a déjà été fait, par mes confrères et moi-même. Par exemple, en termes de paracylonique et de parasismique, nous sommes déjà à un très bon niveau tant en Martinique qu’en Guadeloupe. Ma génération a été formée à la conception parasismique. En outre, nous avons déjà aussi travaillé énormément sur le bambou. Des contingents d’architecte sont allés en Colombie pour l’étudier. Soyez curieux et n’hésitez pas à nous rencontrer et à chercher à comprendre tout ce qui a déjà été fait dans le passé.

Les futurs architectes martiniquais doivent faire ce tour d’horizon local. S’intéresser à ce qui a été déjà fait. Comprendre ce qui a fonctionné et ce qui ne l’a pas été.  C’est en comprenant ces données, que vous pourrez vous poser la question du professionnel que vous voudrez devenir. Posez des questions ! Venez nous voir ! Le devoir d’un architecte, c’est d’essayer de comprendre la société dans laquelle nous nous inscrivons, sans oublier la réglementation qui nous contraints dans les surfaces, les coûts, etc. Les jeunes semblent avoir compris le contexte, l’importance du parasismique. Faire avancer la Martinique est vœu très louable. C’est déjà la base.

À quand des rencontres entre architectes de différentes générations ?

Dernier point, posez-vous ces questions :

Comment voulez-vous vivre ?

Que voulez-vous partagez ?

Quel type d’architecte voulez-vous être ?

Aimerez-vous vous contenter de *faire charrettes, plus tard ?

Quel type de vie voudriez-vous mener en tant que professionnel ?

Où ? Comment ? Dans quelles conditions ?

 

 CONCLUSION

En résumé, s’il fallait embrasser à nouveau une carrière d’architecte, ces trois professionnels recommenceraient sans hésiter. Ces experts ont déjà entamé bon nombre de réflexions qui méritent d’être approfondies (le bioclimatisme, les matériaux biosourcés, le paracylonique, le parasismique, le contexte social, les relations entre les divers acteurs…).

Une nouvelle génération arrive avec beaucoup d’ambition et beaucoup d’utopie. La Martinique a du talent. Et la réflexion pour l’améliorer a déjà commencé. Ils doivent donc reprendre le flambeau. La nouvelle génération doit être curieuse de rencontrer ces sages expérimentés. Le fin mot qui ressort de ces échanges repose donc sur la TRANSMISSION.

Dans 10 ans, il faudra changer de paradigme, améliorer nos réflexions et tout commence dès à présent. Tout le monde est d’accord sur ce point. Le mot de la fin sera pour vous. C’est à vous d’y réfléchir, dès maintenant. Et vous, quelle est votre vision de la Martinique en 2030 ? Comment pourrons-nous faire évoluer les mentalités ?

 

 

 

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