Marc ALIE, vous connaissez ? …
Sans doute ; tout au moins, l’une de ses réalisations ne peut vous être inconnue : nous voulons dire, les Hauts du Port …
Quoiqu’il compte d’autres réalisations à son actif, comme par exemple des logements HLM à Rivière-Salée, à Chateauboeuf …
Pour nos lecteurs, nous l’avons rencontré dans son agence.
Certains lui attribuent un tempérament d’artiste … Si on veut … Si l’on considère qu’il est d’abord architecte et nécessairement un peu artiste …
L’homme que nous avons rencontré ne peut être caractérisé par une simple formule ; quelque peu baroudeur, voire même iconoclaste, il est campé dans une décontraction naturelle, avec des formules chocs. Un discours intéressant qui lui permet prôner une nouvelle forme d’architecture pour nos paysages martiniquais, et de nous parler de l’Eglise du François.
Mais laissons Marc ALIE parler lui-même de son œuvre …
Un style « futuriste »
« … La décision de reconstruire l’église a été prise en 1976 … La procédure va démarrer en 1981 …
Le parti architectural à prendre pour cette Eglise devait être défini par la commission comprenant l’Eglise, la police, l’armée, la marine, etc. … et bien sûr la municipalité du François. Le style « futuriste » que j’avais retenu pour ce bâtiment a été rejeté par ces personnes, hormis le maire qui a été le seul à défendre le projet … Il était tout seul : on avait oublié de m’inviter à cette réunion .
Il m’a donc été demandé de refaire une église de style ancien : ce que j’ai fait sans en être satisfait.
Cependant, il y a eu une expertise des murs de l’église détruite et le verdict est tombé : on ne pouvait pas les garder. Cette démarche faisait suite à la question de savoir si l’on gardait l’ancienne église en construisant à l’intérieur des murs existants, en utilisant des pastiches et plus généralement une architecture d’emprunt avec comme inconvénients supplémentaires un prix qu’il serait plus difficile de maîtriser et des dommages qui pourraient être causés par la faiblesse des pierres … D’ailleurs des poutres tombaient de temps en temps et menaçaient la vie des passants et des enfants qui avaient fait de ces ruines une aire de jeux … Tout cela m’a conforté dans l’idée de réaliser une construction de type moderne, et j’en ai fait part au maire.
Sa décision a été rapide : elle le fut d’autant plus que ce bâtiment présentait des dangers pour la population … Et la démolition de l’église s’est opérée sur un coup de force … La population était quelque peu réticente : elle ne voulait pas qu’on détruise ses ruines et des personnes m’ont prédit mille malheurs si on touchait au mur … Mais les médias nous ont un peu aidé à convaincre les franciscains.
Nous avons aussi notre Beaubourg …
Il y a eu en effet beaucoup de discussions autour du projet … A la même époque, on parlait beaucoup de Beaubourg et le cas était cité en exemple : il s’agissait de conforter le bâti ancien autour de l’église en reprenant les façades sans rien y changer, un peu à l’instar de ce qui s’est passé autour du Centre POMPIDOU …
Il faut dire que le François a un peu monté cette affaire en épingle pour en faire un phénomène dépassant le cadre de la commune ; l’idée se résumait : « Nous avons aussi notre Beaubourg … »
… Alors comment analyser cette construction autour d’un tissu urbain largement structuré et de type différent ? A mon avis, elle est dissemblable, et il faut la concevoir comme telle …
L’opération ne doit pas s’arrêter là : Il faut pouvoir récréer une ambiance à cet endroit qui représentait le point vital de la commune, triangle d’animation matérialisé par la mairie, l’église et le marché.
Des ces trois points forts, seule subsiste la mairie, le marché a été déplacé au bord du petit chenal …
Pour recréer une vie autour de cette place, il faudrait réaliser des cheminements piétons, des jardins des fontaines, réorganiser sa fréquentation quitte à permettre à des marchands ambulants de s’y installer … Mais je reviens à ma petite chronologie des faits : Le projet à donc démarré en 1981 avec la pose d’une fausse première pierre puisque l’entreprise qui avait remporté le marché s’est désistée devant les travaux inhabituels à réaliser : Il fallait donc une entreprise financièrement saine et techniquement compétente pour ces travaux peu communs … Et c’est finalement l’entreprise Quillery, installée depuis quelques temps en Martinique qui a été choisie …
Une charpente improvisée
… L’église a donc été construite dans les temps impartis. Tout au moins en ce qui concerne la partie béton. Par contre, la partie charpente, fabriquée en France et amenée par bateau a fait l’objet d’improvisations de la part de l’entreprise chargée de la réaliser. En effet, la charpente reçue n’était pas celle qui avait été prévue … Mais ce n’était pas gênant, car l’adaptation de cette charpente inattendue ne posait pas de problème majeurs …
… Finalement, cette église aura coûté six millions de francs. La participation de la commune s’arrête à l’église fermée et couverte et le restant c’est-à-dire le revêtement de sol, les vitraux, l’aménagement intérieur, l’électricité, le mobilier, etc., revient à l’Évêché … C’est une opération qui a donc fait l’objet de grosses dépenses…
Il était nécessaire que la population adhère : contrairement à ce que l’on aurait pu penser, elle a réagi positivement et a fait de cette église en construction son affaire …
Une église dessinée en dix minutes
… Les discussions ne portent plus sur le choix entre l’ancien et le moderne, mais plutôt sur la taille, le volume, etc. … Par goût pour le grandiose, les gens auraient aimé que cette église soit encore plus grande … Malheureusement, les contraintes sont parfois difficiles à contourner …
L’église sera probablement terminée en fin 84 ou début 85 : ce sera fonction des menuiseries extérieures et des rattrapages à réaliser au niveau de la charpente …
… Je dois avouer que je voulais réaliser cette église … C’était très important pour moi … Pourquoi avoir choisi le style moderne ?
Je crois n’y avoir jamais réfléchi …
… J’ai dessiné cette église en dix minutes. Pas plus … Les choix implicites – et non volontaires – du parti architectural observé, viennent je crois, de mes croyances profondément religieuses …
Je n’ai pas fait une église monolithique, ni une église évolutive : c’est une église à laquelle on ne peut rien rajouter …
Elle est faite de morceaux … En plan, elle est faite d’écailles avec six points de base : en fait, elle ne repose sur presque rien. Ce sont des voiles de béton qui sont tous indépendants.
La côte arrière qui abrite l’autel, est, elle monolithique.
Cette église permettra à la religion d’évoluer
…Les gens pénètrent l’église en plusieurs endroits. Ils arrivent en fait de partout par des petits cheminements, la porte principale n’étant pas aussi symbolique que les autres églises. Il n’en reste pas moins que c’est nécessairement une porte cérémoniale qui marque le franchissement du seuil de l’église …
Sur les côtés, les voiles de béton donnent à l’individu qui veut entrer l’illusion d’être caché, mais il est déjà à découvert : il ne sait pas qu’il est à l’intérieur … Et ça je ne l’ai pas cherché … Ceci nous a d’ailleurs crée des problèmes pour fermer cette église. Rien n’est simple.
L’ombre de l’église, la zone qu’elle couvre n’est pas limitée à une géométrie rectiligne et close : c’est une géométrie complexe…
La caractéristique importante de cette église est qu’elle peut faire l’objet de diverses utilisations : je pense notamment aux concerts de toutes sortes…
A mon avis, cette église permettra à la religion d’évoluer, de s’ouvrir à l’extérieur … Mais pour les concerts, la grande inconnue c’est l’acoustique . Je n’ai fait aucune étude concernant ce problème, mais mon intuition m’indique que l’acoustique devrait être bonne…
Il faut que mon produit soit fini pour qu’on le juge…
Je disais tout à l’heure qu’il m’avait fallu peu de temps pour dessiner cette église. Je crois que c’est parce que j’avais déjà comme tout architecte une église en tête.
… Seulement un architecte a rarement l’occasion d’objectiver ce genre de désir : nous sommes en effet près de 22.000 en France et Outre-Mer. Or, une église ne se construit pas tous les jours …
En plus de cela, il y a des confrères qui se spécialisent dans la construction d’églises, comme d’autres le font pour des hôpitaux… Il arrive en effet que des architectes réalisent deux, voire quatre églises dans leurs vies professionnelles …
Cela réduit les chances des autres. Or, il me semble que cette spécialisation est une aberration…
Le principe du recrutement des concepteurs n’est pas bon. Des concours devraient être organisés. Cela dit, je les aurais perdus à coup sûr…
Je ne sais pas concourir : il faut des méthodes pour plaire et remporter… Moi, je ne les ai pas et je n’ai jamais su intérioriser …
Il faut que mon produit soit fini pour qu’on le juge…
Je crois que l’église terminée sera bien accueillie … »
Propos recueillis par Raphael Séminor, alors urbaniste au CAUE
* L’article que nous vous proposons est extrait de la revue du CAUE, la Mouïna n° 4 d’octobre 1984. Dans la rubrique « Architecture et Innovation », Raphael Séminor, alors urbaniste au CAUE, recueillait les propos de l’architecte Marc Alie sur l’église du François en cours de réalisation à l’époque.
Dans son éditorial, Joël Pamphile, directeur du CAUE, à l’époque écrivait :
L’albatros …
Prenons le risque : nous aimons l’église du François …
Nous aimons aussi la mairie de Fort-de-France … Comme nous aimons aussi (oh oui !) le bâtiment du Conseil Général … Comme nous aimons aussi la Bibliothèque Schoelcher, l’église de Case-Pilote, ces maisons anciennes qui inspirent le sentiment de dignité. Continuons alors : Non, nous n’aimons pas ces villas à toitures biscornues que l’on veut nous imposer dans notre paysage … Non, nous n’aimons pas ces formes prétentieuses, ces pilotis, ces décrochés inutiles en façades ou en pignons, ces arcades stériles de notre environnement périurbain …Non, nous n’apprécions pas, le m’as-tu vu érigé en « éthique » architecturale … Non, nous n’aimons pas ces lotissements désordonnés, incohérents et ingrats que l’on nous inflige. Comme à Cocotte (Ducos) … Un délire onirique.
Oui, nous aimons l’église du François…
Parce qu’elle innove … Plus que l’idée de reconstruire l’ancienne à sa propre image… Parce qu’elle apporte quelque chose à l’architecture publique en Martinique …Or, les réactions émotionnelles de nos compatriotes sont exacerbées face à ces édifices publics, encore trop peu nombreux. Alors que les « hérésies » architecturales de leurs voisins, ou les leurs propres sont à leurs yeux élevées au niveau de chefs d’ œuvres …
Oui, nous aimons l’église du François …
Parce qu’elle impose – en force, peut-être – une idée : un monument public doit être investi d’un symbolisme, nous dirions même une architecture monumentale … Entendons-nous bien : pas colossale … Le drame du concepteur est là aujourd’hui : celui qui s’investit dans l’innovation et la qualité se trouve bien souvent contrecarré par les contingences financières, si ce n’est celles « esthétiques », du maître d’ouvrage … La création s’étoile, en butte à l’opinion…
Et tel cet oiseau comique et laid, la bonne architecture est handicapée : ses ailes de géant l’empêchent de marcher »
J. Pamphile, urbaniste et sociologue.