Si l’on se donne la peine d’observer les façades de nos anciennes maisons de ville ou encore les clôtures de certains de nos centres urbains historiques, on peut y découvrir des éléments de ferronnerie d’art qui méritent l’attention de par leurs qualités esthétiques et leur caractère patrimonial. Il s’agit notamment de garde-corps de balcons et de grilles de clôtures, ces dernières pouvant être aussi observées dans des cimetières.
Qu’est-ce que la ferronnerie d’art ?
La ferronnerie d’art désigne le travail artistique du fer ou d’autres métaux ferreux, à chaud ou à froid, à la forge, à l’étampe ou au marteau. L’acier est généralement employé du fait de sa relative malléabilité. La ferronnerie d’art, qui nécessite des connaissances historiques et un sens artistique, peut être distinguée en trois catégories :
La ferronnerie du bâtiment (garde-corps, escaliers, rampes d’escaliers, grilles, portails, marquises, pergolas, petits objets décoratifs, loquets et verrou, etc.) ;
La ferronnerie domestique (luminaires, tables, tournebroches, etc.) ;
La ferronnerie du travail, liée à la production agricole ou artisanale (socs de charrue, bèches, outils divers, etc.).
Ses origines
L’âge du fer – période consécutive à l’âge de bronze en Europe et au Proche-Orient – se caractérise par l’usage de la métallurgie du fer. S’il correspond à une époque qui précède l’Antiquité, selon les aires culturelles et géographiques considérées, il remonte à différentes périodes. C’est ainsi qu’il a commencé en Afrique vers 2650 av J.-C, s’est développé vers 1100 av. J-C. dans les régions méditerranéennes, puis vers 800 av. J-C. dans le Nord de l’Europe. Il a fallu cependant attendre XIe siècle pour que le fer forgé, dont la technologie était principalement utilisée pour la confection d’armes
( couteaux, poignards, épées, fers de lances et pointes de flèches), apparaisse comme un art décoratif.
A partir de ce moment, la ferronnerie d’art va se développer au cours des siècles, tant sur le plan technique que sur le plan de la conception et du dessin, subissant les influences des époques et des styles en vigueur, jusqu’à la période Art Déco. Depuis, son utilisation est devenue plus confidentielle.
Evolution de la ferronnerie d’art, en France, à travers les siècles
Martinet hydraulique
Révélée au XIe siècle, c’est à partir du XIIe siècle que deux inventions vont être déterminantes pour son développement.
Il s’agit de :
La mise en action des soufflets des fours à masse (fours à combustion interne ou bas fourneau qui servaient à transformer le minerai de fer en fer métallique) par des roues hydrauliques ;
Le martinet hydraulique, gros marteau à bascule qui permettait de battre le fer.
Une des plus anciennes grilles connues en tant qu’œuvre d’art, se trouve dans la cathédrale du Puy-en-Velay. Elle date du début du XIIe siècle. Celle-ci comprend, en hauteur, cinq panneaux de brindilles (petites tiges de fer de 0,7 à 1,5 cm) soudées à des embases (pièces d’appui) et arrêtées aux montants par des embrasses (pièces de fixation) non soudées, mais contournées à chaud.
Vue sur la grille de la Cathédrale Notre Dame du Puy en Velay (XIIe siècle)
Détail de la plaque de damasquinage. Artisanat traditionnel avec du métal à Tolède, Espagne
Brindilles aux terminaisons décorées
Durant le XIIIe siècle, qui correspond au début de l’art gothique, la technique de l’étampage va se développer. Il s’agit d’un procédé qui permet de réaliser le même motif plusieurs fois, en faisant entrer à la force du marteau, le fer chauffé au rouge dans un petit moule sur l’enclume, afin de lui donner une forme. Les grilles sont ainsi composées de panneaux de brindilles déployées en bouquets, dont les terminaisons sont décorées.
Eléments de feuillage repoussés au marteau
Avec l’avènement de la Renaissance, les techniques du repoussé et du damasquinage font du travail du fer un travail de dentelles. Le repoussé consiste à réduire le métal en feuille de faible épaisseur pour lui faire prendre, sous les coups du marteau, toutes sortes de formes. Ce qui permet de créer une infinie variété de petits objets ciselés : serrures, verrous, heurtoirs, ou d’éléments de décoration…
Le damasquinage est une technique de décoration, qui consiste à enchâsser un fil de cuivre, d’or ou d’argent, sur une surface métallique, afin de créer différents motifs décoratifs et ornementaux.
Aux XIVe et XVe siècles, les rivets, souvent agrémentés d’une corolle découpée et repoussée, vont progressivement remplacer les colliers pour les assemblages. Des plaques de fer battu ou « plates » découpées au burin et finies à la lime vont être progressivement introduites dans les compositions de fer forgé. Les motifs obtenus remplacent alors les fleurons forgés et étampés. La répétition de motifs quadrilobés, voire polylobés, liés entre eux par des colliers (liens contournés à chaud et soudés en bague), va s’imposer au détriment des bouquets de brindilles.
Au cours du XVIe siècle, avec les progrès de la sidérurgie, vont apparaître les tôles et les fers, de formes et de dimensions variées. Les fers plats rectangles et les fers de section carrée vont s’imposer au détriment des fers ronds et des brindilles.
Elément de grille de clôture du XIVe siècle
Elément de grille de clôture du début du XVe siècle
Puis vint l’époque Classique.
Sous Louis XIII, les formes de la ferronnerie d’art vont utiliser le rapport du nombre d’or ou de la racine carrée de 2. Les ouvrages composés de fers plats posés sur le chant, montrent des éléments répétés en alternance de verticales droites ou ondulées. Les rouleaux en S, formant par symétrie des cœurs, sont interrompus et prolongés par des droites, tandis que le feuillage est désormais découpé dans de la tôle en relief, montrant au moins une nervure fortement marquée.
Sous Louis XIV, les dessins montrent une double symétrie, verticale et horizontale. Les décors sont inscrits dans des cadres qui déterminent de grands panneaux horizontaux, en alternance avec d’autres plus étroits, verticaux. Le tout formant un ensemble très massif, dont la lourdeur est accentuée par l’épaisseur des montants et traverses de section carrée.
Grille du Château de Versailles
Au cours du XVIIIe siècle (1715-1760), sous le règne de Louis XV, c’est l’avènement du style Rocaille ou Rococo. Le Classicisme cède la place à un style dont les décors se font très riches, avec des rinceaux (motifs ornementaux constitués d’une « arabesque de feuillages, de fleurs ou de fruits) et de la rocaille. La courbe est sublimée tandis que la droite est rejetée. Les balcons sont galbés sur le plan horizontal et vertical. La double symétrie est abandonnée et les dessins sont très chargés.
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle (1760–1793), le style Rocaille s’efface et l’on revient à des ouvrages plus sobres, avec un retour du goût de l’Antique. C’est l’avènement du néoclassicisme qui correspond au règne de Louis XVI. On observe un retour à la symétrie, des cadres et de la droite. Les courbes ne sont données que par le cercle et l’ovale. Les fers s’épaississent, tandis que les frises et les grillages apparaissent.
A la fin du XVIIIe siècle (1795 -1799), sous le Directoire, la ferronnerie reste sobre. C’est le retour au barreaudage basique, avec quelquefois : une bague à chaque barreau ; l’extrémité supérieure de ce dernier en ogive ou en plein cintre, parfois doublé ; des pilastres, avec des flèches, des croix, des losanges ou des cercles ; des frises inspirées par l’antiquité.
Durant ce siècle, la fonte coulée, et parfois le laiton qui imite les motifs du fer forgé, vont remplacer le fer forgé. D’autres métaux sont utilisés dans la ferronnerie comme l’acier doux et le bronze.
Au cours du XIXe siècle, le fer forgé va souvent être remplacé par la fonte et parfois du laiton avec une finition très en vogue (en laiton et oxyde d’argent), dénommée : le « canon de fusil ». Celle-ci a pour but de donner une patine ayant l’aspect sombre du canon de fusil.
Avec l’apparition de l’Art Nouveau (1887 -1914), c’est la nature stylisée qui prend le pas. Les motifs montrent de manière très stylisée des fleurs, des insectes, des grenouilles, des paons. Les formes sont alors courbes et asymétriques, voulues par l’Art Nouille, appelé encore style « Spaghetti ». Les fers décoratifs des grilles ou des rampes, sont fins et légers, avec des assemblages rivetés. Les pièces massives ou nécessitant des répétitions d’éléments sont réalisées en bronze.
Porte d’entrée du Castel Béranger,
Immeuble sis 12-14, rue de La Fontaine, Paris XVIe -Œuvre de l’architecte Hector Guimard
Au XXe siècle, les expositions de 1900 et de 1925 vont amener un renouveau de la ferronnerie en France, avec l’utilisation de dessins plus simples et des techniques modernes : soudures autogène, marteau pilon, poinçonneuses, perceuses, étau limeur.
De 1925 à 1939, c’est l’avènement du style Art Déco. Les formes sont épurées, géométriques (octogone, cercles, et séries de trois droites, groupes de lignes brisées) et sans ornements superflus. Les motifs sont influencés par le cubisme, mouvement artistique dont les œuvres représentent des objets analysés, décomposés et réassemblés en une composition abstraite, comme si l’artiste multipliait les différents points de vue. On note également une récurrence des formes géométriques et du thème de la modernité. Plusieurs types des fers (plat, carré, large plat et rond) sont utilisés pour un même ouvrage.
Avec l’influence du fauvisme, la couleur l’emporte sur la forme, et dans un même ouvrage on trouve un mélange de finitions et de matières. On utilise l’inox ou le laiton poli, les aciers sont peints, vernis ou martelés. La période Art Déco marque l’apogée de la ferronnerie d’art qui déclinera au point d’être quasiment oubliée de nos jours. Ce métier n’est plus exercé que par quelques artisans ou artistes isolés qui le font perdurer.
La ferronnerie d’art à la Martinique
L’observation des réalisations en ferronnerie d’art de la Martinique montre une relative distance avec les différents courants qu’a connus la France depuis le XIe siècle. Il semble qu’elles aient été principalement inspirées du courant néoclassique qui s’est fait jour en France, de 1760 à 1793, sinon du style sobre qui a prévalu durant la période du Directoire. Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que l’installation des premiers ferronniers, à la Martinique, remonte semble-t-il au XVIIIe siècle, période où ont prévalu ces styles dans la ferronnerie d’art en France. Il s’agissait d’artisans ferronniers, venus en premier lieu pour l’armée, en provenance de Rochefort ou de La Rochelle. Ceux-ci étaient entretenus pendant la durée des ouvrages, mais une fois les ouvrages terminés, ils pouvaient rester sur place et travailler à des ouvrages non militaires, voire former des ouvriers sur place, en leur apprenant les styles qu’ils connaissaient. Il convient aussi de noter que l’habileté des forgerons n’était pas égale sur tout le territoire de la France. Le fer était ainsi beaucoup mieux travaillé au nord de la Loire et dans les régions voisines du Rhin que dans l’Ouest et dans le Midi. Or, les ferronniers venus en Martinique au XVIIIe siècle, venaient de régions situées au Sud de la Loire. Ce qui pourrait peut-être expliquer des connaissances limitées quant aux styles et aux techniques mises en œuvre dans les zones où la ferronnerie s’est affirmée à son plus haut niveau.
A leur décharge, on pourrait ajouter que le matériel disponible et la ressource en métal ne leur permettait pas de donner leur pleine mesure en Martinique. On peut noter cependant qu’un arrêté du gouvernement du 1er septembre 1846 a autorisé M. Dutertre et M. Lamy à établir une forge et fonderie de cuivre au Vauclin, et qu’un autre arrêté datant du 2 juillet de la même année a accordé à M. Gastel l’autorisation d’établir, au bourg de la Trinité, une forge à hauts fourneaux.
La ferronnerie d’art martiniquaise n’a donc pas connu la même évolution qu’en France. Elle a été mise en œuvre, entre le XVIIIe siècle et la première moitié du XXe siècle, à une échelle nettement plus modeste. Néanmoins, avec la création des communes au début du XIXe siècle, de nombreux bâtiments et monuments ont été construits, dont certains, comme les marchés couverts ou certains bâtiments publics, étaient réalisés en métal. Ils faisaient, pour certains, l’objet de dessins d’architecture élaborés en France. Il semble que leurs balustrades, grilles, rampes, clôtures, portails n’étaient pas dessinés en détail mais faisaient l’objet de descriptifs écrits. La création du motif de la composition était alors laissée au soin du ferronnier. Par conséquent, ce qui fait l’originalité de ces ornementations, dont certaines sont remarquables, est qu’elles constituent plutôt une fusion des styles existants, avec les matériaux disponibles sur place. On peut ainsi observer des balustrades, principalement en fer forgé, avec de très beaux motifs d’une variété infinie, sobres ou exubérants, avec des enroulements en C, en S, des volutes, des flammes, des effilés. Les assemblages étant réalisés à l’aide de rivets, d’embrasses ou de soudures.
Bien qu’elle soit moins chère, la fonte a été très peu utilisée en Martinique dans les maisons et immeubles particuliers. On la trouve en majeure partie dans des garde-corps, des consoles, des grilles, des portes, des épis de faîtage.
On observe aussi, quelques ferronneries du début du XXe siècle, qui sont inspirées du style Art déco.
Malheureusement, déjà en 1960, M. René Sydney, ferronnier, dans un article rédigé dans la revue « L’Artisan Outre-Mer », faisait le triste constat de l’inexistence de la ferronnerie d’art en Martinique, l’activité du ferronnier étant réduite à la fabrication de charpente et à la pose de rideaux métalliques.
Il écrivait alors : « Que peut-on faire pour stimuler ou créer de futurs ferronniers Antillais ? Il est peut-être possible, il est en tous cas souhaitable de créer une saine émulation par une propagande judicieuse, des concours de dessins de ferronnerie ». Force est de constater qu’aujourd’hui, la ferronnerie d’art dans la construction a cédé le pas à une ferronnerie plus banale, d’aspect industriel, réalisée en profilés en métal galvanisé ou en aluminium.
Heureusement qu’il nous reste encore les témoignages du passé, qui sont malheureusement, pour certains, menacés, et que la ferronnerie d’art quoiqu’ayant délaissé le domaine de la construction, perdure au profit de la création d’oeuvres d’arts qui relèvent plutôt de la sculpture.
Sources :
Plaquette « La ferronnerie d’art à la Martinique » – Michèle Robin-Clerc – CAUE de la Martinique – 1986
http://www.ferronnier.net