CAUE Martinique

Le LAKOU , un type d’habitat disparu

Si vous demandez à un Martiniquais de moins de trente ans de vous expliquer à quoi correspond le mot « lakou », il y a de fortes chances qu’il ne sache pas de quoi il s’agit car ce type d’habitat a quasiment disparu de nos paysages urbains. A travers ce qui suit, nous verrons ce à quoi correspond ce mot créole que l’on traduit en français par « cour ».

Qu’est qu’un lakou ?

Selon Myrtô Ribal-Rilos, chercheur en Langues et cultures régionales, qui a mené une étude portant sur des lakous en Martinique : le « lakou est un espace en marge entre le rural et l’urbain permettant à des personnes en provenance de la campagne de se loger à moindre frais. Ces espaces se retrouvent dans toutes les villes des anciennes dépendances coloniales. » Le lakou n’est donc pas une spécificité martiniquaise. Il en existe en Guadeloupe, en Haïti, en Guyane, dans l’Océan Indien… Il convient cependant de noter que le mot lakou ne désigne pas exactement les mêmes réalités selon le territoire où l’on se trouve. Ce qui est le cas en Guadeloupe ou en Haïti.

Le lakou en Martinique

Situation de « Lakou Campêche » à Fort-de-France

En Martinique, un lakou désigne généralement une « cour urbaine ». Il s’agit d’un espace qui est une forme d’adaptation à la citadinité où la ruralité est malgré tout présente, celui-ci constituant une sorte d’interface entre la campagne et la ville. C’est un lieu de fixation temporaire de populations issues des zones rurales.

Situé en périphérie de la ville, il est appelé à s’y intégrer sinon à disparaître du fait de la migration de sa population vers d’autres sites ou de sa destruction du fait du réaménagement urbain. C’est ainsi que la quasi-totalité des lakous martiniquais ont aujourd’hui disparu du fait des politiques urbaines d’assainissement et de résorption de l’habitat insalubre entamées à partir des années 1980. Cela est notamment le cas à Fort de France où ont existé un certain nombre de « lakous », comme en témoignent certains noms de « cours » qui ont perduré, désignant les lieux qui les ont accueillis dans le passé. C’est ainsi que l’on trouve encore les appellations de « Cour Fruit à Pain » aux Terres Sainville, de « Cour Campêche » dans un quartier situé au Nord-Est du lycée Schoelcher…
Les avis divergent en ce qui concerne la période d’origine des lakous martiniquais.

Ainsi, dans une rubrique d’Eric HERSILIE-HELOÏSE, intitulée « D’où viennent nos « lakous » créoles ? », parue le 8 mars 2012 sur le site « Tous créoles ! », on peut lire :
« Chaque rue a une ou plusieurs cours.
En fouillant dans les chroniques et les documents officiels anciens, on situe l’apparition de ces « cours » au début du siècle dernier [Ndlr : XIXème siècle]. En 1820, un rapport évoque le grand nombre de vieilles maisons en bois, construites à Fort-Royal sur des terres rapportées. Certaines sont aménagées en cours, à l’usage des pauvres qui y occupent un espace restreint pour vivre. Le plus souvent, il s’agit d’une chambre ou d’un appentis. La cour porte le nom du propriétaire des lieux, comme la cour Crozan rue du Fossé, Sainte-Luce rue Blondel, Desouchel rue du Canal ou Bertrand rue Joyeuse. Elles sont toutes répertoriées et représentent, en quelque sorte, l’ancêtre tropical des pensions de famille.
Véritable phénomène social, ces cours iront en se multipliant dès 1830, avec l’augmentation des affranchis, qui abandonnent le travail de la terre pour se rendre en ville. En 1840, chaque rue possède une ou plusieurs cours. Inutile d’épiloguer sur les conditions d’hygiène lamentables supportées par les locataires, quand on sait que cette même année, le maire de la ville lance un arrêté municipal engageant les propriétaires « à prendre des mesures dans leur intérêt et celui de leurs locataires ».
Mais des familles s’y formeront, des générations s’y succéderont, expliquant les liens qui unissent aujourd’hui certaines lignées patronymiques : alors même qu’on a oublié ce qu’étaient les
« lakous du patrimoine »».

Par ailleurs, on peut lire dans une publication de l’ADDUAM : Regards croisés n°3, de Mars 2012 sur le thème « Densités et formes urbaines résidentielles en Martinique », que : « la crise industrielle des usines fin 19e puis au milieu du 20e siècle a favorisé l’exode des ouvriers vers les villes. Ces ruraux ont ainsi modelé une « forme urbaine » à petite échelle, reprenant les principes de la case et du jardin créole pour l’adapter à la ville.
C’est ainsi que sont nés les lakous ».

Description d’un lakou martiniquais

Myrtô Ribal-Rilos fait la description suivante des lakous martiniquais : « Les lakous étudiés en Martinique étaient des espaces rectangulaires ou ovoïdes, de terre battue, avec une entrée principale et des entrées secondaires. Sur ces espaces, s’étaient élevées des cases, avec au mieux, au centre ou dans un coin, une fontaine, au pire rien. Les habitants louaient une chambre ou deux, dans laquelle la famille s’installait.
Dans le meilleur des cas, lorsque les revenus le permettaient, il s’agissait d’une case individuelle. Celle-ci s’ouvrait par devant sur la cour, mais disposait aussi d’une entrée située à l’arrière où existait un espace restreint que l’on tentait tant bien que mal d’isoler. Là, se pratiquaient les ablutions, on parquait également dans une cage de bois et de fil de fer quelques poulets ou le cochon planche. Le végétal était présent aussi bien au coeur du lakou (de façon sauvage), qu’à l’arrière des cases. Parfois apparaissaient dans l’espace restreint, quelques bananiers,

une ou deux fosses d’ignames, et en «bombes»de fer blanc, quelques plantes appropriées pour les soins médicaux, magiques et symboliques.
Un passage était ménagé et soigneusement respecté pour que d’autres rejoignent leurs cases. Lorsque les parents affluaient de la campagne, ils séjournaient quelque temps dans les chambres, puis à leur tour cherchaient de quoi construire ou louer ».

Les lakous en Guadeloupe

Selon Jean-Pierre Giordani, en Guadeloupe, le lakou est un groupement familial : « Expression matérielle de la cohésion de la famille pour laquelle la terre reste en principe inaliénable, l’indivision serait apparue comme la manière la plus appropriée, dans les conditions de l’époque, de pérenniser collectivement le statut du lignage sur les terres généralement de petite taille, quelques ares. L’exploitation en était cependant assurée, sans partage véritable, par attribution de droits d’usages aux différents ménages, sous l’autorité du chef de famille, responsable du fonds collectif aux yeux de la communauté et son représentant pour les échanges extérieurs. […]
Son expression spatiale, appelée « lakou » en langue créole, c’est-à-dire cour, est un groupement de cases avec leurs dépendances et la diversité des espaces fonctionnels, généralement commandés par la maison paternelle, disposées latéralement au chemin qui, de la route, pénètre la parcelle. […]
Cette forme spécifique d’organisation revêt une importance particulière dans la vie sociale des campagnes guadeloupéennes. C’est autour d’elle que s’organise les activités productives, la consommation partagée et les échanges commerciaux des produits. Elle autorise la régulation des relations sociales, où entraide et convivialité tempèrent les tensions inévitables. Les activités ludiques, éducatives ou à caractère sacré qui s’y accomplissent, les rites fondateurs et protecteurs des cases et de ceux qui les habitent, la célébration des évènements heureux ou non, aident à conforter la cohésion de la communauté paysanne. »
Toujours, selon cet auteur, les lakous guadeloupéens montrent « d’étonnantes convergences avec diverses formes sociales de la France de l’Ancien Régime, comme le furent les « communautés taisibles », « frérèches » ou « affairements6 »,

organisées selon un principe similaire et d’héritage foncier indivis, contre lesquels le droit de main-morte des seigneurs, le pouvoir royal et les lois républicaines luttèrent implacablement, avant leur disparition au XIXe siècle. »

La définition précédente du lakou guadeloupéen s’applique selon nous principalement à celui que l’on trouve en zone rurale. On trouve en effet, dans l’ouvrage intitulé « Les risques majeurs aux Antilles – Approche culturelle et prévention sociale», paru sous la Direction de Paulette Jno-Baptiste et Alain Yacou, aux Editions Karthala – Cerc (note en bas de page 262), une définition qui se rapproche plus de celle des lakous de la Martinique, à savoir : « Zone d’habitat populaire, le « lakou » désigne au départ un espace où s’agglutinent des maisons appartenant à un particulier, de part et d’autre d’une venelle, et dont le nom est celui du premier occupant ou du nom laissé par une famille (ex : cour Charneau, cour Monbruno…) ».
Ce qui permet de penser que les lakous urbains guadeloupéens et martiniquais ont des caractéristiques communes.… La description de la Cour Monbruno faite par Marie Léticée dans son roman « Moun lakou » pourrait aussi s’appliquer à un lakou martiniquais.

Enfin, le terme lakou peut désigner un quartier, une cour isolée du regard des curieux derrière une maison ou un couloir de circulation entre les cases.

Les lakous en Haïti

En Haïti, le lakou désigne l’espace commun à plusieurs maisons voisines dans lesquelles résident les membres d’une même famille, regroupés autour de la maison du patriarche. Le lakou désigne également le groupe familial étendu. Les familles élargies s’organisaient en effet en grappes de maisons entourant une cour centrale dans les régions rurales.

Haïti, en sortant de l’esclavage, a adopté le lakou comme un moyen de se protéger contre le retour de la plantation, en devenant une opposition de base à toute action de l’Etat tendant à rétablir l’ordre de la plantation. Le lakou était un « système égalitaire sans Etat » comme l’appelait l’écrivain Gérard Barthélémy.
La montée du Vaudou a été un facteur important pour le développement du lakou. Après l’indépendance de Haïti en 1804, l’absence de l’Eglise catholique tout au début des années 1800 a permis à d’autres traditions de l’Afrique de l’Ouest, telles que le complexe familial, de se développer. Ce dernier, intimement lié à la pratique du vaudou, est devenu la base du système lakou.
Le lakou constitue l’unité de base de l’habitat populaire rural et urbain, et il peut prendre des formes différentes selon que l’on se trouve dans une zone rurale très isolée ou à proximité d’une ville.
En zone rurale, il est assimilable au jardin-case des Petites Antilles, tandis qu’en milieu urbain, il caractérise un ensemble de cases ayant une cour commune.
Aujourd’hui, le lakou traditionnel tend à disparaître du fait de l’éclatement familial et du morcellement des terres, laissant la place à de petites parcelles sur laquelle est édifiée une seule maison individuelle.

Les lakous, qu’ils soient martiniquais, guadeloupéens ou haïtiens, ont constitué – sinon constituent encore à Haïti par exemple – une composante importante en termes d’occupation du territoire, qu’il soit urbain ou rural. Ils ont joué un rôle important à plusieurs niveaux notamment :
En structurant le tissu urbain de nombreux bourgs et villes des Antilles ;
En permettant dans les campagnes de « protéger » les terres de petite taille, pendant la période post-esclavagiste, en faisant en sorte qu’elles ne soient pas morcelées ;
En assurant une sorte de transition à l’urbanité pour les populations qui laissaient les campagnes pour essayer de mieux vivre dans les villes, tout en y préservant une certaine culture rurale ;
En pérennisant des valeurs d’entraide et de solidarité.

Malheureusement, ils se caractérisaient par des conditions de vie précaires, voire insalubres, qui ont fait qu’aujourd’hui ils ont disparu à la suite d’opérations de résorption de l’habitat insalubre ou de rénovation urbaine, et par le départ de leurs habitants vers des cieux et des conditions de vie meilleurs. Quant aux lakous qui existent encore, nombre d’entre eux sont en voie de disparition.

Sources :
http://theodora.pagesperso-orange.fr/these/cpvi04d.htm
https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/12811
http://www.touscreoles.fr/2012/03/08/dou-viennent-nos-lakous-creoles/
https://www.persee.fr/docAsPDF/aru_0180-930x_1996_num_72_1_1986.pdf
https://maison-monde.com/maisons-rurales-haiti-lakou/

Images
https://sites.duke.edu/lawandhousinginhaiti/historical-background/lakou-model/shape-of-the-lakou-today/
Source :https://sites.duke.edu/lawandhousinginhaiti/historical-background/lakou-model/
Source : https://maison-monde.com/maisons-rurales-haiti-lakou/

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