Nos pitts sont-ils menacés ?
Dans les années 1960, les pitts étaient relativement nombreux en Martinique. Il y en avait entre 160 et 185 selon les dires et ils étaient implantés aussi bien à la campagne que dans certains faubourgs de communes. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une vingtaine dont une quinzaine en activité. Face à cette situation, alors que les pitts sont considérés comme des éléments de notre patrimoine traditionnel, il convient de se poser la question de savoir si d’ici quelques années ils seront toujours en fonctionnement…
Qu’est ce qu’un pitt ?
Le mot « pitt », qui désigne dans les Antilles un gallodrome, vient du mot anglais « pit » qui signifie « arène ». Le pitt est une construction dont l’enveloppe architecturale est le plus souvent sans attrait, sans grande qualité esthétique, voire disparate, mais dont l’intérieur – que l’on imagine difficilement quand on ne voit que les façades extérieures et la toiture – vaut généralement le détour du fait de ses aménagements et des ambiances colorées qu’on peut y trouver. L’élément central d’un gallodrome en est l’arène de forme ronde, d’environ cinq mètres de diamètre, au sol cimenté et peint, parfois recouvert de moquette. Celle-ci est délimitée par une petite palissade fermée par un portillon. Lieu d’affrontement des coqs, c’est aussi l’endroit où ces derniers sont préparés au combat : taille des plumes, pose des ergots, pesée, toilette avec de l’eau et essuyage…
Autour de l’arène sont disposés des gradins en bois en escalier où prennent place les spectateurs.
En hauteur, au-dessus des gradins, est installé un tableau d’affichage où sont indiqués les poids des combattants et les numéros des boxes (situés non loin de l’arène) dans lesquels se trouvent les coqs dans l’attente de leur combat. Les pitts comprennent aussi des espaces annexes où l’on peut se désaltérer et se restaurer.
Les combats de coqs, une tradition ancestrale
Les combats de coqs sont une véritable tradition que partage une partie de la population martiniquaise à l’instar de nombreux autres passionnés dans le monde, avec cependant quelques différences en ce qui concerne ces pratiques. On distingue ainsi trois grands types de combats :
– Le combat de vitesse : les coqs munis d’ergots artificiels en métal, formant soit une lame soit une pointe, s’affrontent dans ce qui pourrait ressembler à un duel à l’épée où le corps est visé, où celui d’entre eux qui s’élève le plus haut est avantagé ;
– Le combat d’endurance, pratiqué avec des ergots émoussés ou recouverts de bandes de tissu ou d’un capuchon. Il s’agit d’un long combat dont l’issue est l’abandon ou le KO. Le but étant pour un coq de donner un maximum de coups et de ne pas en recevoir ;
– Le combat pratiqué avec l’ergot naturel pointu ou un ergot artificiel lui ressemblant, que des poseurs s’appliquent à positionner pour que le coq soit le plus efficace possible, qui constitue un intermédiaire entre les précédents.
Les coqs de vitesse sont des coqs très emplumés, tandis que les coqs d’endurance ont des plumes courtes et collées au corps. En Martinique, on trouve plusieurs variétés de coqs dont les « cendrés » (tacheté, paille, gris, clair…) aux plumes blanches et noires, les « gros-sirop » de couleur rouge foncé et les madras de couleur orangée…
Dans la Caraïbe, toutes les règles d’élevage et de combats sont présentes. Les combats peuvent donc être différents selon l’île dans laquelle on se trouve. A noter cependant que la pratique des combats de coqs a presque disparu dans certaines îles.
Les Caraïbes ne connaissaient pas le coq avant l’arrivée des colonisateurs, et la pratique des combats de coqs a été introduite aux Antilles par les Espagnols dès le XVe siècle. Cependant, son origine remonte à des temps très anciens, en Asie semble-t-il, avec la domestication du coq sauvage Gallus gallus, appelé en Inde Coq Bankiva, quand les premiers agriculteurs s’y sont sédentarisés. Ce volatile, qui avait pour but de leur fournir de la viande et des œufs, montrait des qualités belliqueuses en combattant ses semblables de même sexe, afin de s’approprier un territoire ou des femelles. C’est donc tout naturellement que la pratique des combats de coqs s’est mise en place, permettant ainsi aux propriétaires de coqs de s’affronter par leurs animaux interposés. Mais, rien n’est sûr en ce qui concerne l’origine de cette pratique car selon un article du site www.gallodrome.pagesperso-orange.fr, les combats de coqs remonteraient au VIIe siècle avant J.-C. en Israël. Il y est précisé de même qu’il existe surtout des témoignages écrits et picturaux de combats de coqs remontant à la Grèce antique, et qu’en ce qui concerne les Romains, une mosaïque de Pompéi montre l’affrontement de deux coqs devant une table où se trouve la bourse que remportera l’éleveur victorieux. Dans ce cas, il s’agit d’une récompense mais généralement, lors des combats, ce sont des paris qui sont pris…
Les combats de coqs se sont répandus en Europe grâce aux Grecs, aux Romains et aux Phéniciens, notamment en Grande-Bretagne, en Irlande, en Espagne, dans le Nord de la France et en Belgique. Puis, les Anglais et les Irlandais les ont introduits aux États-Unis, les Portugais au Brésil et les Espagnols dans la Caraïbe et l’Amérique latine. Ils furent aussi amenés à Madagascar par un peuple de Malaisie et des commerçants arabes.
En ce qui concerne la Martinique, ce sont les colons et les notables qui, à l’origine, pratiquaient les combats de coqs tandis que les esclaves servaient de soigneurs pour ces animaux. Les combats avaient lieu dans les habitations, dans des arènes aménagées à cet effet. Puis, avec l’abolition de l’esclavage de 1848, les nouveaux libres se sont mis à élever, à sélectionner et à faire combattre des coqs. Cette passion a ainsi gagné une partie de la population rurale et les combats se sont alors déroulés, hors des habitations, dans des lieux plus spécifiques, les pitts. Structures qui se sont répandues dans toute l’île, notamment dans la première moitié du XXe siècle. Avec l’exode rural massif qu’a connu la Martinique dans les années 1950-1960, les pitts se sont rapprochés des zones urbaines. Ils semblent avoir été édifiés à la manière des constructions domestiques qui ont été implantées dans les quartiers d’habitat spontané, dans les mornes ou dans les périphéries urbaines, où le coup de main a joué un rôle certain. Ce qui pourrait expliquer ces constructions faites de « bric et de broc », mélanges de volumes parfois disparates, à l’architecture sans intérêt, avec comme matériaux de prédilection : la maçonnerie de briques ou de parpaings, parfois non enduite, le béton armé ou le bois en structure, et la tôle pour couverture.
Le pitt, un patrimoine menacé
Le pitt constitue le lieu d’expression d’une pratique traditionnelle, avec son univers propre, ses rituels, ses règles, son code de l’honneur. Il participe à la vie économique et sociale de l’île en générant tout un système économique qui profite aux propriétaires de pitts, aux propriétaires et éleveurs de coqs, aux soigneurs professionnels, à ceux qui tiennent les restaurants ou les buvettes, aux marchandes de cacahuètes et aux spectateurs qui sont aussi des parieurs. Il s’agit aussi d’un lieu fréquenté par quelques touristes. Certains pitts présentent aussi des combats de mangoustes et de serpents, tandis que d’autres servent de lieux de manifestations où ont lieu des soirées Bèlè et Ladja.
Les pitts encore en activité sont relativement bien fréquentés, les passionnés sont toujours présents, et il existe une certaine relève qui peut laisser à penser que les pitts perdureront encore longtemps. Mais, rien n’est vraiment acquis face aux différentes menaces qui peuvent peser sur eux, et on peut se poser la question de savoir s’ils pourront toujours résister. Ces menaces sont de plusieurs ordres : certaines sont liées à la pratique des combats, d’autres aux conditions de sécurité (tant de l’élevage que des lieux où se pratiquent les combats), et enfin il y a les risques liés à la pérennité des bâtiments.
Aujourd’hui, le milieu des combats de coqs est méconnu de nombreux martiniquais et est parfois victime de préjugés, les combats étant entourés de croyances et de superstitions. Ils sont assimilés par certains à des pratiques de « vyé nèg », qui n’intéressent pas une grande part des martiniquais, notamment les jeunes – censés être la relève – plus portés sur les loisirs informatiques, les jeux vidéo ou le sport.
A cela, il convient d’ajouter que la population est de plus en plus urbaine, avec une culture où la ruralité est de moins en moins présente. Ce qui peut être inquiétant quand on sait que certaines traditions peuvent se perdre. Que seraient les combats de coqs sans leurs spectateurs ?
Les combats de coqs sont aussi décriés par une grande partie de la population française et la majorité des pays occidentaux condamnent cette pratique. Nombreux sont ceux qui pensent en effet que les combats de coqs, à l’instar de la corrida, constituent des sévices et des actes de cruauté envers les animaux. En France, des tentatives visant à les supprimer ont déjà été faites, il y déjà plus de cinquante ans. C’est ainsi que la loi n° 63-1143 de 19 décembre 1963 relative à la protection des animaux a interdit les combats de coqs en France. Mais, face aux pressions, le Général de Gaulle a autorisé à nouveau cette pratique un an après, dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie, c’est-à-dire dans des régions du Nord de la France ou de l’Outremer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion et Polynésie). Cela, par le biais de la loi n° 64-690 du 8 juillet 1964 qui a modifié celle de 1963.
La loi de 1964 a aussi interdit toute création de nouveau gallodrome sous peine de sanctions, l’objectif étant de faire disparaître progressivement la pratique des combats de coqs et de favoriser leur extinction. Ce qui est presque le cas aujourd’hui dans le Nord de la France où l’on est passé de 15 000 coqueleux (personnes qui élèvent des coqs de combat) dans les années 1920 à moins de 600 aujourd’hui. Quant à la Martinique, par rapport au nombre de pitts dénombrés il y a un peu plus de cinquante ans, force est de constater que seuls environ 10 % à 12 % d’entre eux existent encore aujourd’hui. Qu’en sera-t-il dans quelques décennies ?
En ce qui concerne nos pitts actuels, certains d’entre eux ne sont pas toujours conformes à la réglementation, notamment celle qui concerne les personnes à mobilité réduite. Quant à leur résistance aux séismes ou aux cyclones, on peut se poser des questions quand on voit comment ils sont construits. Leurs propriétaires sont-ils financièrement en mesure de les mettre aux normes ? Et, eu égard à l’ancienneté de certains pitts, leur entretien peut nécessiter des dépenses importantes, ce qui n’est pas évident pour leurs propriétaires. Si ces dépenses s’avéraient obligatoires, les propriétaires des pitts pourront-ils y faire face ? Enfin, si l’activité d’un pitt n’est pas reprise quand son propriétaire prend sa retraite ou arrête de le faire fonctionner, c’est un bâtiment qui à court terme risque de disparaître et de rejoindre le grand nombre de gallodromes disparus.
Les pitts présentent des conditions sanitaires souvent dégradées et sont considérés comme étant à risque pour la circulation virale notamment de l’influenza aviaire. On y trouve aussi des cas de variole (pian) qui se déclarent surtout lors de la mue des coqs, qui correspond à la période du Carême. Dans une thèse de doctorat vétérinaire, intitulée « État sanitaire des filières d’élevage en Martinique : Bilan et perspectives (filières porcine, avicole, équine et aquacole) », présentée par Alexandra, Monika SENKOWSKI, en 2007, on peut ainsi lire que : «Les coqs de combat représentent un risque épidémiologique important en Martinique pour les raisons suivantes : déplacements inter-îles fréquents pouvant être à l’origine d’introduction de maladies en Martinique mais également de dissémination dans les îles des Caraïbes, contacts fréquents dans les Pitts à l’occasion des combats pouvant favoriser la contamination des animaux et la propagation de maladies, conditions d’hygiène médiocres des boxes d’attente (cages en bois poreux ), absence de désinfection etc.), risque zoonotique important. Ainsi, la protection sanitaire du territoire se doit de prendre en compte cette filière sportive et ses particularités. […] Les Pitts représentent des lieux de concentrations importantes de personnes dans un endroit où la dissémination des particules véhiculant des agents pathogènes est favorisée. »
La Direction des Services Vétérinaires (DSV) de Martinique a ainsi initié depuis 2003 l’application de la réglementation (identification, vaccination Newcastle, traçabilité), puis des actions de sécurité publique eu égard à la fragilité de ces structures qui ont été impactées par le cyclone Dean. Face à cette situation de risque sanitaire, dans la mesure où certains propriétaires de coqs ne sont, semble-t-il, pas très disposés à les faire vacciner, pensant que cela affaiblit le coq et modifie sa performance, on pourrait se demander ce qu’il adviendrait des pitts si une épidémie de la maladie de Newcastle avait lieu. Cela entrainerait sans aucun doute l’abattage de nombreux coqs de combats et en conséquence la raréfaction sinon la cessation des combats pendant un certain temps. En souhaitant aussi, qu’une épidémie de ce type ne constitue pas un prétexte pour la fermeture définitive des gallodromes.
Que faire pour que les pitts perdurent ?
Il faut faire en sorte que l’univers des pitts soit mieux connu et que les pratiques d’élevage et de combats soient plus respectueuses de l’animal, que les conditions sanitaires soient optimales et que les pitts puissent être réhabilités, ou rénovés, afin qu’ils soient résistants aux aléas et que leur pérennité soit assurée. A cet effet, il est bon de rappeler qu’une démarche avait été entamée auprès de la Direction à l’Action Culturelle (DAC), à l’initiative des Services Vétérinaires, ses services ayant senti que l’importance de ce dossier dépassait l’aspect sanitaire. Ce que confirmait alors Annie Noé-Dufour, responsable de l’architecture et du patrimoine de la DAC : « C’est un patrimoine à la fois architectural, humain, un lieu de transmission intergénérationnel, tous les aspects sont importants à prendre en compte dans le pitt ». Un inventaire avait été réalisé par une spécialiste du sujet, l’ethnologue Mireille Mondésir, chargée de mission du projet. Et, en 2011, un comité de pilotage pour la réhabilitation des arènes de combats de coqs a été présenté par Catherine Conconne, alors 1ère vice-présidente de la Région. Son but était, selon Serge Gunot, l’architecte missionné par la DAC, « d’adapter sans dénaturer, sans perdre le côté intime, cette chaleur que les gens aiment retrouver dans ces arènes. Mettre en conformité, selon les normes de sécurité et d’hygiène applicables pour tout établissement recevant du public : sécurisation des gradins, des escaliers, des issues, etc. ». Six pitts avaient alors été retenus pour ce projet. Aujourd’hui, qu’en est-il de ce comité et des actions engagées ?
Cet article est extrait du magazine La Mouïna Martinique n°17 en téléchargement ici
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Combat_de_coqs
http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=88
http://www.tropiquesfm.com/rubrique3/Pitts-un-patrimoine-a-preserver