Où peuvent mener les études d’architecture ?
L’architecture regroupe de nombreux métiers qui sont très divers et variés. Quand un étudiant prépare un Diplôme d’Etat d’Architecte (D.E.A), il a de fortes chances d’atterrir dans une agence ou un cabinet qui fait de la maîtrise d’œuvre. Cependant, il existe plusieurs autres voies pour les passionnés du cadre bâti qui sont formés dans une école d’architecture. Le CAUE Martinique vous propose une rencontre avec différents diplômés d’architecture et leurs métiers dans différentes structures en Martinique.
Sandrine HIERSO TRONC, architecte DPLG, diplômée en 2001
« Je travaille depuis 13 ans à la Mairie de Fort-de-France. J’ai été titularisée en 2015. J’ai travaillé un peu moins de 10 ans au Service Ravalement de façade. D’abord en tant que chargée de mission puis cheffe de service pour accompagner les propriétaires privés du centre-ville et des Terres-Sainville. Il s’agissait de les convaincre et de les inciter à faire des travaux de ravalement, tout en les sensibilisant sur la valeur architecturale voire patrimoniale de leur bien (détails et éléments de décor : ferronnerie d’art, encadrements ouvragés des fenêtres, corniches …). Cela participait de la valorisation des façades et de l’amélioration du cadre de vie, ainsi que la dynamisation des métiers de l’artisanat (ferronnier, menuisier, charpentier, zingueur, peintre …). Ils étaient également assistés techniquement (diagnostic de façade et étude chromatique), administrativement (DP, PC …) et financièrement (subventions).
Depuis 2018, je suis cheffe du Service Gestion Urbaine de proximité du centre-ville (GUP)
Il s’agit de coordonner l’ensemble des actions et les interventions des différents acteurs (Ville, CACEM, acteurs économiques et associatifs, habitants …) qui contribuent à améliorer :
- les services rendus aux habitants, commerçants, usagers et visiteurs en matière de sécurité, propreté et gestion des déchets, tranquillité et confort …
- la qualité du cadre de vie (entretien et embellissement des espaces publics)
- l’attractivité (habitat, commerces, services)
- le soutien aux initiatives des habitants …
Après mon diplôme, j’avais à cœur de rentrer exercer en Martinique. Quelques commandes et projets plus tard, je me suis rendue compte que l’exercice en tant que libéral, ne me convenait pas particulièrement. J’ai très vite compris que sur un marché aussi concurrentiel (+ de 100 architectes sur un aussi petit territoire), il fallait être très incisif !! Or, si le temps c’est de l’argent, je ne comptais pas celui que je passais avec mes clients et donc ne le facturais pas !!! Et s’il y a toujours des projets, il n’y a pas nécessairement un financement garanti, notamment pour les études préalables. Je me suis alors orientée vers les structures publiques (CAUE, collectivité territoriale), cadre qui me permet véritablement de sensibiliser, conseiller et accompagner les MO dans leurs projets ou travaux (hors champs MOE), sans la contrainte d’un CA à réaliser.
De plus, dans le cadre de mes missions actuelles, j’aborde les questions et les enjeux de territoire, tant en ce qui concerne les programmes de renouvellement urbains, les partenaires institutionnels mobilisés, l’ingénierie financière, ce qui enrichit mon expérience professionnelle.
Yassine BOUHADJEB Chargé de mission Energie et Développement durable – SOLIHA Antilles AIS Architecte D.E & Urbaniste
« Il n’existe pas un métier de l’architecture mais des métiers de l’architecture. Contrairement à ce qui peut transparaitre dans les écoles nationales (ENSA) et dans l’imaginaire collectif, l’obtention du titre d’architecte – D. E ou HMONP – n’implique pas nécessairement l’intégration d’une agence ni l’acte de bâtir. C’est une vision réductrice de la pratique et des métiers auxquels peuvent amener la formation d’architecte.
Philosophie, sociologie, arts plastiques, histoire, informatique sont autant de domaines explorés qui ouvrent le champ des possibles et rendent les études passionnantes.
A ce titre, mon expérience professionnelle constitue un exemple d’orientation parmi tant d’autres. À la suite de l’obtention d’un double diplôme en architecture et en urbanisme, j’ai travaillé à l’élaboration du Plan Climat Air Energie territorial (PCAEt) de Grand Paris Grand Est, intercommunalité de l’est parisien.
Au terme de mon contrat, j’ai intégré l’agence immobilière sociale SOLIHA Antilles, acteur associatif du secteur de l’amélioration de l’habitat dont les missions sont multiples : mobilisation du parc vacant, accompagnement social, réhabilitation d’immeubles, montages fiscaux, animation de dispositifs, gestion de logements etc.
Au sein de la structure, j’ai aujourd’hui la charge du déploiement de ZESTE en Martinique, un programme labellisé par l’Etat, engagé dans la réduction des consommations énergétiques des ménages. Du diagnostic territorial à l’accompagnement personnalisé des ménages, six actions seront déployées jusqu’en 2023 en complément du travail déjà accompli par les acteurs locaux luttant contre l’habitat indigne.
Sortir du cadre de l’agence d’architecture m’a permis de mieux comprendre les origines des projets territoriaux et immobiliers, leurs contextes politico-économiques ainsi que les rôles des acteurs mobilisés. Aujourd’hui, de nouveaux modes d’apprentissage de l’architecture sont expérimentés, de nouveaux métiers apparaissent dans les domaines de l’urbanisme venant bousculer nos représentations et la place même des architectes au XXIème siècle. »
Eloi BERNET, Chargé de mission Bâtiment Durable pour l’association KEBATI, architecte diplômé d’état
« On se rejoignait à la cabane. Patiemment, à chaque planche récupérée, à chaque palette dénichée, la cabane grandissait, avec nous. Elle tenait debout tant bien que mal, un peu comme nous à l’intérieur, qui avions grandi un peu trop vite. Et puis, il fallait tout recommencer. Être architecte a commencé là-bas. Réitérer l’espace, encore et encore, partir de ce qui était devant nous et l’adapter à nos besoins. C’est aussi comme ça qu’ont commencé les maquettes. Première année en école d’architecture, interdiction d’acheter du carton, récupérez-le dans les poubelles ! Une aubaine pour parcourir la nuit Nancéienne. Aujourd’hui l’été dure et les cabanes ont grandi. C’est une campagne tropicale. Durant deux ans, conception et suivi de chantier rythment mon quotidien en agence d’architecture. A Fort-de-France, j’ai la chance en tant que jeune diplômé de suivre des projets de bâtiments publics d’importance sur l’île, dans le domaine judiciaire, hospitalier, universitaire. Les printemps passent et subitement le confinement s’installe. Pour la première fois, partout dans le monde, le temps de la réflexion se dilate. Comme pour beaucoup d’autres, je ressens l’envie d’exercer un travail plus engagé.
Le monde associatif, partie prenante de ma vie étudiante, radio, monnaie locale, festivals, expositions, resurgît. Je décide alors de rejoindre KEBATI, association qui lutte depuis 2018 pour une architecture Martiniquaise bioclimatique, adaptée aux atouts et aux risques de son climat. En quelques années, l’association membre du Réseau Bâtiment Durable est devenue le centre de ressources du territoire sur les questions de qualité environnementale du bâtiment. KEBATI est une association citoyenne qui s’adresse au grand public comme aux professionnels. Elle est aujourd’hui composée d’une trentaine d’adhérents, de cinq membres actifs et d’une équipe de deux salariés, Florence TALPE, cheffe de projet, et moi-même, chargé de mission. Au travers d’ateliers terre crue, d’afterworks, et de visites de chantier, l’association défend une approche consciente de l’habiter. A l’animation s’ajoute d’autres pôles : l’information par la création de guides de conception basés sur des retours d’expériences, la formation avec la réalisation de maquettes et d’illustrations pour sensibiliser les petits comme les grands, l’innovation avec des enquêtes de terrain et la création de nouveaux outils pour améliorer le confort en milieu tropical humide, et le plaidoyer pour contribuer à la législation de demain.
Nous avons la chance aujourd’hui de travailler dans un nouveau lieu hybride que je vous invite à découvrir : lePATIO19. Café associatif, lieu d’exposition, espace de coworking, … : seuls des architectes utopistes et convaincus pouvaient imaginer un tel programme, qui s’avère être un succès. Je salue donc ici l’association Abité et l’agence DARA pour leur travail acharné et leur audace de s’être implanté dans un centre-ville Foyalais aujourd’hui boudé au profit de la bétonisation des nouvelles ZAC. D’autres associations se tournent aussi vers des lieux alternatifs aujourd’hui à Fort-de-France, et nous ne pouvons que nous en réjouir !
Nos débuts d’expériences nous montrent que la mission de l’architecte ne s’arrête pas au travail en agence ou à une architecture conventionnelle, et c’est tant mieux ! Les jeunes architectes doivent être aujourd’hui alternatifs, politiques, et avoir connaissance de l’ensemble des acteurs du bâtiment durable, pour travailler avec eux. Je remercie toutes les personnes rencontrées au travers de l’association KEBATI, qui chaque jour me transmettent leurs regards. Ingénieur thermicien, constructeur passionné de bambou, spécialiste énergétique ou maître d’Ouvrage, ce sont leurs approches qui me permettront demain de donner du sens à une conception architecturale plus engagée, plus radicale, moins carbonée. Favoriser la rénovation des centres anciens, l’adaptation de l’architecture au climat tropical humide par la ventilation naturelle, les protections solaires et la végétalisation des abords du bâtiment. Favoriser le réemploi, les matériaux locaux biosourcés, la low-tech. Une expression dit qu’un ingénieur connaît presque tout de presque rien, alors qu’un architecte ne connaît presque rien de presque tout. Il faudra donc accepter de rester un apprenant toute sa vie. »
Conclusion
Un diplômé d’une école d’architecture, exerçant hors du domaine de la maîtrise d’œuvre n’a pas le droit de s’appeler architecte. Il ne peut porter le titre d’architecte que s’il est inscrit à l’ordre[1].
Cependant, l’Architecture avec un grand A est un magnifique domaine autour duquel s’articulent des professions diverses et variées. Dans la mesure de son histoire et de ses préférences, chacun des professionnels amoureux du cadre bâti pourra prendre un chemin et embrasser une activité qui conduit à se détourner du métier canonique d’architecte. Il existe différentes trajectoires. Les études d’architecture encouragent la transversalité et de nombreuses compétences en matière de cadre de vie, de communications, de savoir technique, financière et constructives. Un étudiant diplômé d’une école d’architecture peut devenir scénographe, programmiste, conseiller, chargé d’étude, constructeur, assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO), etc…
Ainsi, les professionnels rencontrés dans cet article nous dévoilent leurs rapports à l’architecture, leur exercice et leur pratique d’un métier de l’architecture. Il ne semble pas y avoir une voie ou une vérité sur la façon de faire de l’architecture, mais bien une diversité exceptionnelle de chemins.
Les réflexions sur ce qu’est l’architecture, sur ce que signifie être architecte est un sujet passionnant qui mérite une réflexion dans un monde en perpétuelle évolution.
J’ai dû attendre la cinquième année de mon parcours estudiantin pour voir la pluralité des voies que m’offrait un DEA alors selon vous, c’est quoi l’architecture et comment peut-elle être vécu par tous ? C’est quoi, selon vous, un architecte ?
[1] Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture (Journal officiel du 4 janvier 1977 et rectificatifs inclus) Version consolidée au 4 avril 2019 TITRE III – DE L’EXERCICE DE LA PROFESSION D’ARCHITECTE Article 9 (Modifié par l’ordonnance n°2005-1044 du 26 août 2005).