Comprendre le mode de vie antillais, c’est comprendre une partie de notre passé architectural, mais c’est surtout comprendre les atouts, et les freins du mode de vie qui influencera l’architecture antillaise de demain.
Vivre dans les Antilles, c’est savoir vivre avec la mer qui nous entoure, la terre qui donne l’abri et qui nous nourrit et le vent qui nous rafraîchit et nous donne de l’énergie. En France, la population vit à l’intérieur en hiver, et s’abrite pour se protéger du soleil quand il fait très chaud. Aux Antilles, la manière de vivre est différente car nous n’avons pas de température plus basse que 20° C, nous construisons par rapport au vent à la pluie et au soleil. La case et son environnement constituent un ensemble homogène. C’est pourquoi il n’est pas possible de parler de l’habitat sans montrer sa place dans le paysage antillais et la manière dont il l’a marqué.
Une vie en lien total avec le dehors
Aux Antilles, il faut se protéger de la chaleur du soleil, de l’humidité de la pluie et accueillir le vent. En parlant avec des aînés originaires de la Guadeloupe et de la Martinique, ils disent tous à l’unanimité : “Autrefois, on n’avait pas chaud dans nos maisons, mais on y vivait bien et simplement”. Le constat est flagrant, aujourd’hui, nous, Antillais, avons mis de côté notre savoir ancestral en matière d’habitat. L’une des raisons principales est l’oubli des principes de base de la ventilation naturelle. L’être humain avait peur du froid, il a aujourd’hui peur du chaud. Aux Antilles, par exemple, M. Nosel, professeur d’économie à l’université des Antilles disait lors d’une interview réalisée en juillet 2017 : “L’Antillais commence sa journée et se réveille dans la clim, prend son véhicule afin de se rendre au travail dans son habitacle climatisé, puis se retrouve la journée dans son bureau climatisé et, finalement, après une journée au frais, il va faire des courses dans son supermarché préféré qui est de surcroît climatisé et revient avec sa voiture fraîche dans sa maison froide.” Puis après, il faut aller faire du sport dans une salle de fitness bien évidemment climatisée. Cet exemple, bien que tiré d’une expérience antillaise, ressemble bien à notre vie en général dans le contexte occidental actuel dans lequel nous vivons. Nous vivons dans une bulle climatique perpétuelle. En définitive, la technologie telle que la climatisation, bien que nécessaire dans certains cas, nous a coupés du milieu si précieux dans lequel les Antillais vivaient.
En Europe, nous pourrions considérer la cheminée comme étant l’espace central du foyer. Cependant, aux Antilles c’est la terrasse qui fait fonction centrale de l’habitation. “Dans la majorité des ensembles construits avant les années quatre-vingt en Guadeloupe […] la terrasse est loin d’être un espace généreux. Les critères de financement du logement social ne considèrent toujours pas cette fonction comme l’espace central du logement, alors qu’en Guadeloupe il s’agit d’un espace pivot de notre mode d’habiter.”[1] Le dehors que nous habitons fait partie intégrante de la vie antillaise. La vie à l’extérieur (cuisine séparée, dépendances) est une caractéristique importante de l’habitat traditionnel rural issu d’un héritage caraïbe. “Le mode de vie d’habiter antillais s’est élaboré au cours des différentes phases originales. Le mode d’habiter antillais est élaboré au cours des différentes phases d’une histoire brève mais extraordinairement riche, tumultueuse et complexe. La culture antillaise, spécifique et originale, n’est ni le carrefour ni la juxtaposition de cultures africaines et européennes comme il a souvent été dit. Le mode d’habiter antillais est une création originale, bien que restant, comme tout fait culturel, le produit d’un cadre et de conditions historiques précises.”[2]
Protection contre les nuisibles : Insectes, pollution sonore et atmosphérique, etc.
La vie antillaise avec la présence des insectes tels que les moustiques, et certains rampants comme les scolopendres, compliquent la vie des insulaires. Les maisons très ouvertes sont sujettes à la prolifération d’insectes plus ou moins dangereux. Vivre à proximité de la nature, c’est accepter de secouer tous les jours les draps de la literie, et de traiter son logement contre les nuisibles. Se pose la question d’une maison ayant une ventilation naturelle, ouverte au vent mais aussi à la pollution sonore et aux insectes. C’est pourtant un mode de vie particulier en lien avec le contexte que les Antillais semblent avoir oublié.
Selon une étude scientifique, l’air intérieur est aujourd’hui huit fois plus pollué que l’air extérieur. C’est la preuve irréfutable que l’architecture contemporaine est aujourd’hui exclue du contexte dans lequel elle se situe. La ventilation naturelle est l’une des stratégies les plus connues et les plus usitées dans l’architecture vernaculaire des différentes régions sur la face du globe terrestre. Mais elle se voit de plus en plus concurrencée par la ventilation mécanique qui permet de se passer des bruits environnants, des nuisibles et des pannes de vent qui se produisent de temps à autre. Cependant, à l’heure où le réchauffement climatique pèse de plus en plus sur les épaules de la civilisation, il ne sera peut-être plus possible de vivre dans nos “bulles climatiques” et dormir à 16° C la nuit dans nos pays tropicaux comme certains le font. Maîtriser la ventilation naturelle passera par les concessions des habitants et par l’éducation des futures générations à accepter la présence des nuisibles, ou de poussière dans les lieux habités. Des solutions existent concernant les insectes, avec des moustiquaires, et des solutions naturelles pour diminuer les intrusions, il y en aura, néanmoins quand même. Or, les moustiquaires réduisent énormément le débit d’air. Leur mise en place réduit la ventilation de 10 à 15 %. Par exemple, un mètre carré de fenêtre avec moustiquaire ne représente en réalité qu’un équivalent de 0,85 m² d’ouverture. Se pose, aussi, la question des pollutions sonore et atmosphérique. Des solutions plus techniques peuvent être envisagées.
L’habitant expert du lieu : Savoir-faire, bon sens et transmission
Les habitants d’une île vivent différemment de ceux qui vivent sur un continent. Nous sommes restreints par notre limite insulaire. Nous avons le devoir de développer un sens du risque et de la conception en fonction de notre contexte. Et ces deux enjeux doivent se faire avec les concepteurs et les habitants. En effet, les habitants vivent en fonction de leur habitat. Ils connaissent l’histoire, les us et coutumes de l’endroit où ils vivent, car c’est eux qui font le lieu. Ils sont les experts du lieu. La communauté est composée de beaucoup de personnes diverses possédant des compétences différentes et des talents uniques. Ils ont des points de vue différents sur un même lieu que ce soit à l’échelle de la ville, du quartier et même de l’habitat. Les architectes doivent en tenir compte. Découvrir ces informations au début du processus de conception aidera à créer un sentiment de communauté dans le projet. Comment pouvons-nous intégrer les habitants dans le processus de conception de l’espace public ou de l’espace privé ?
Les habitants ont vécu la tradition du lieu. En les intégrant dans le processus, un projet devient leur espace. Les habitants d’une ville peuvent comprendre leur identité. Ce serait intelligent de les laisser créer leurs propres espaces. Ce serait bon pour eux de se sentir inclus par les architectes et les urbanistes. Les experts du lieu pourraient conseiller les habitants, en termes de qualité spatiale et technique. Il faut aussi transmettre aux plus jeunes et développer une culture du savoir-vivre plus cohérente avec notre contexte insulaire et notre contexte climatique actuels. Selon le site GéoRisques, la culture du risque “c’est la connaissance par tous les acteurs (élus, techniciens, citoyens, etc.) des phénomènes naturels et l’appréhension de la vulnérabilité. L’information des populations, et ceci dès le plus jeune âge, est le moteur essentiel pour faire progresser la culture du risque. Celle-ci doit permettre d’acquérir des règles de conduite et des réflexes, mais aussi de débattre collectivement des pratiques, des positionnements, des enjeux, etc.
Développer la culture du risque, c’est améliorer l’efficacité de la prévention et de la protection. En faisant émerger toute une série de comportements adaptés lorsqu’un événement majeur survient, la culture du risque permet une meilleure gestion du risque. « Les Antilles françaises“ font partie des îles les plus riches et les plus peuplées des petites Antilles”. Ces deux Départements français des Amériques sont situés dans l’une des régions sismiques les plus actives de la planète. Le mécanisme sismogène principal est la subduction de la plaque atlantique sous la plaque caraïbe, de l’ordre de 2 cm/an. L’archipel des petites Antilles comprend un aléa sismique élevé comme en témoignent l’histoire et les études sismologiques régionales. La Guadeloupe et la Martinique sont à ce titre les seules zones classées V, de forte sismicité, par le zonage sismique réglementaire de la France. Malgré les avancées opérationnelles significatives dans les domaines de la géophysique et de la dynamique des structures, le patrimoine bâti demeure globalement vulnérable. La prise en compte du risque sismique par les élus, sa compréhension et son appropriation par la population, ainsi que l’amorce d’une volonté de bâtir, une véritable culture du risque constitue un phénomène de société très récent.”[3] Cette culture ne doit pas créer un vent de panique collectif permanent qui nous empêcherait de vivre, cependant, la prise de conscience du risque sismique est une nécessité majeure pour les Antilles françaises. Il y a aussi la prévention aux risques sismiques, de tsunamis, de montées des eaux, et de brumes de sable à ne pas oublier. “Il y a urgence à compléter et pérenniser les dispositifs qui contribuent à augmenter le niveau des connaissances et réduire la vulnérabilité des populations. Ce début de XXIe siècle bénéficie des avancées de la science et de la médiatisation des catastrophes qui frappent l’opinion. La culture du risque est en train de se construire. La fenêtre d’opportunité créée par les retombées des actions sociales menées en Martinique et par le séisme des Saintes doit être mise à profit pour favoriser l’amélioration des critères décisionnels des populations face au danger sismique. Les études menées dans le cadre du Plan national de Prévention du Risque sismique (2005-2011) contribueront également, souhaitons-le, au développement de ces politiques de terrain.”[4] Il faut se préparer au pire dès aujourd’hui. Et, les futurs concepteurs antillais devront y faire face. Les façons d’habiter devront aussi évoluer, afin d’éviter la prolifération des moustiques porteurs de maladies comme la dengue, le chikungunya ou le virus du Zika. De plus, l’Antillais devra faire face à des sécheresses de plus en plus fortes et longues au cours des années. Comment recueillir de l’eau, faire des réserves et préserver les cours d’eau en évitant la pollution des sols, et en oubliant le gaspillage ? Revenir au savoir-faire de nos ancêtres qui avaient l’intelligence du lieu et de la nature. Pratiquer une vie en adéquation avec le contexte et la technologie. L’idée n’est pas forcément de revenir à l’âge de pierre mais de réfléchir à un équilibre sain entre technologies, progrès et nature, une certaine forme de bon sens. Cela passera par certaines concessions.
En définitive, voudrions-nous continuer à vivre comme nous le faisons aujourd’hui au détriment des futures générations antillaises ? Et, un dernier défi, opter pour la préservation du savoir-vivre antillais grâce à la transmission aux jeunes générations de ce bon sens et de cette façon spécifique d’habiter passera forcément par un retour à une certaine frugalité.
T. DUVAL
Diplômé en Architecture
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Photo : Jérôme Nouel
[1] JALET Marc, L’urgence, l’échéance, la durée, Éd. Archibooks & Sautereau 2009, p. 28
[2] BERTHELOT Jack, GAUME Martine, Kaz antiyé jan moun ka rété, L’habitat populaire aux Antilles, p. 45
[3] MAVOUNGO Joseph, BALANDIER Patricia, Les Antilles françaises : entre risque sismique et stratégies locales de prévention, Études caribéennes, 7 août 2007
[4] Idem